la vie judiciaire


Des chiffres pour sonder la vie judiciaire

• Plus de 2,5 millions de litiges jugés en 2008

• Les juridictions de droit commun très sollicitées

• Black-out sur la justice de proximité et la Cour suprême


C’est un premier pas. Le ministère de la Justice vient de rendre public des statistiques précieuses. Ceux qui observent la vie judiciaire pourront s’informer sur le nombre des affaires traitées par juridictions 2003-2008, le nombre d’actes de mariage et de divorce, le mariage des mineurs...
«Ces chiffres servent de tableau de bord pour déterminer les besoins des juridictions en ressources humaines (magistrats, huissiers de justice…) en vue de rationaliser leurs déploiements. Ils nous informent aussi sur les délais de traitements des litiges…», selon Abdelmajid Rhomija. Ce magistrat de carrière -qui a été notamment conseiller à la Cour suprême entre 1999 et 2001- pilote la Direction des études, de la coopération et de la modernisation. C’est plus exactement la division Etudes et législation qui se charge de collecter et traiter ces données.
Le ministère de la Justice, tellement décrié, a marqué un joli coup. Sur simple clic, l’internaute/justiciable pourra donc accéder à une mine d’informations sur le site www.adala.justice.gov.ma. N’empêche qu’il n’est pas encore tout à fait au point. Ce portail juridique et judiciaire s’insère dans le projet Meda II, dont le lancement initial remonte à novembre 2003. Cette politique de modernisation des juridictions coûte 35,6 millions de DH, dont 80% financés par l’Union européenne.
Toujours est-il que le bilan des activités des juridictions entre 2003-2008 présente un intérêt particulier: juridictions de droit commun, de commerce et administratives. D’abord parce qu’il s’étale sur une période de cinq ans, et qu’ensuite il tâte le pouls de la vie judiciaire marocaine. Ne serait-ce que pour savoir par exemple quelles sont les juridictions les plus sollicitées.
A première vue le nombre des affaires jugées est plus élevé que celles enregistrées! Comment expliquer ce phénomène? «Chaque année il y a un arriéré qui se rajoute aux affaires enregistrées. Une instance introduite fin 2009 ne sera jugée qu’en 2010…», selon le directeur des études, de la coopération et de la modernisation.
Ce cumul s’explique aussi par la lenteur des procédures, le manque des moyens… C’est ce qui ressort en tout cas des conclusions du rapport(1) de l’Inspection générale et qui a ciblé 40 juridictions en 2007-2008.
Lors de son passage au Club de L’Economiste, début 2008, le ministre de la Justice, Abdelouahed Radi, a été très précis: «Annuellement, 3,16 millions de litiges sont examinés et les jugements ne sont prononcés que dans 79% des cas».

• Plus de 2 millions de litiges


Les juridictions de droit commun -civil et pénal- sont particulièrement sollicitées par les justiciables. Qu’il s’agit des tribunaux de 1re instance ou des Cours d’appel, les affaires enregistrées et jugées dépassent largement les deux millions. Une moyenne qui revient pratiquement dans toutes les années judiciaires de 2003 à 2008.
L’année dernière, plus de 2,2 millions de litiges ont été jugés en première instance et 2,4 millions en appel. Sur cinq ans, il n’y a pas globalement de grandes variations. Ce constat concerne particulièrement les juridictions de droit commun. D’après le ministère de la Justice, «le taux des litiges fluctuent selon la période ou la région: recours électoral, expropriation…». Dans ce cas-là, ce sont plutôt les juridictions administratives qui sont compétentes. Du coup, des pics apparaissent ici et là: «la vie judiciaire est impactée par la vie économique», selon une formule du directeur des études et de la coopération. Aucun chiffre sur l’activité des juridictions communales et d’arrondissements. Il révèle pourtant le poids de la «justice de proximité» dans les quartiers. Même constat pour la Cour suprême et qui est la plus haute instance judiciaire.

• Pauvres… juridictions commerciales!


En revanche, les juridictions commerciales -créées en 1997- tranchent à peine un peu plus de 100.000 contentieux par an. C’est une moyenne sur cinq et qui ne concerne que les tribunaux (voir tableau). En appel, les magistrats ont traité plus de 9.000 litiges. Ce sont des chiffres modestes si on les compare à ceux des juridictions de droit commun. Est-ce parce que le monde des affaires manifeste une réticence à l’égard de la justice? Notons à ce titre que la carte judiciaire compte trois Cours d’appel et 8 tribunaux de commerce.
Une première réponse se trouve chez l’Inspection générale. En contrôlant 5 tribunaux de commerce, les inspecteurs-magistrats relèvent dans leur rapport que «la majorité des juridictions contrôlées fait état de lenteur... La durée de traitement des dossiers dépasse parfois les deux ans». Ils citent à ce titre le cas des entreprises en difficulté. Le livre blanc du patronat - édition 2007 - est plus incisif: «il ne suffit pas de se doter d’un cadre juridique moderne. Encore faut-il s’assurer de l’effectivité des lois, de la sécurité juridique des investissements, de l’exécution des décisions de justice…». Il est probable que la dé-juridisation du monde économique ira crescendo. Car l’adoption en décembre 2007 de la loi 08-05 relative à l’arbitrage et à la médiation a boosté la «justice privée». Des centres dédiés aux modes alternatifs de résolution des conflits s’ouvrent ici et là. Les Chambres de commerce, nationales et étrangères, se bousculent… Les Français avaient d’ailleurs prévu de lancer leur centre dès le 1er juillet 2009.

• Contentieux administratif


En 2008, les juridictions administratives de premier degré se sont prononcées sur 13.400 affaires et les Cours d’appel ont jugé presque 3.000 dossiers. Est-ce à dire que les justiciables font rarement des recours en appel. Notons aussi que les statistiques de 2003-2005 des juridictions de second degré ne sont pas mentionnées. Ce déficit a une explication: en mars 1994, date d’entrée en vigueur de la loi 41-90 créant les tribunaux administratifs, ces derniers avaient pour 2e degré de juridiction la Chambre administratif de la Cour suprême et non pas la Cour d’appel.
Généralement, le juge administratif tranche dans les recours en annulation pour excès de pouvoir, contrat administratif, contentieux électoral ou fiscal…

Repères

• Carte judiciaire


Le ministère de la Justice planche depuis début 2008 sur le projet de révision de la carte judiciaire. Les juridictions se répartissent en 21 Cours d’appel (CA); deux CA administratives; 3 CA commerciales; 66 tribunaux de 1re instance; 7 tribunaux administratifs; 8 tribunaux commerciaux et 180 centres de juges résidents.

• Productivité


Un tribunal traite en moyenne 10.000 dossiers par an. Les 30 millions de justiciables disposent en tout et pour tout de 3.322 magistrats. Ils sont une douzaine par instance. Avec 800 affaires par mois, ils n’ont que 7 minutes à consacrer à chaque dossier. Depuis 2008 le ministère s’est engagé dans un cycle de formation et de recrutement qui s’étale sur cinq ans: 2.600 nouveaux juges et 8.000 fonctionnaires.

• Chantiers


La réflexion menée sur la réduction du nombre des tribunaux n'entraînera pas l'annulation de la construction programmée de 22 tribunaux, dont 4 Cours d'appel et 18 tribunaux de première instance. Leur construction coûtera 1,2 milliard de DH et s’étalera jusqu’à 2010. Dans ce lot, il y a des instances qui sont déjà opérationnelles. La loi de Finance 2008 a mobilisé un peu plus de 514 millions de DH dans le budget général de l’Etat. L’informatisation des juridictions et la formation fait partie des grands chantiers du ministère de la Justice 2008-2012.
Faiçal FAQUIHI
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(1) Un rapport publié par L’Economiste - Edition 3029 du 21 mai 2009.

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